La prise de décision partagée
La prise de décision partagée se veut un compromis entre le modèle paternaliste et le modèle autonomiste. Le modèle paternaliste est le modèle traditionnel qui remonte au serment d’Hippocrate qui est en quelque sorte le premier code de déontologie médicale. Ce modèle situe le médecin dans le rôle de gardien du patient : il informe son patient du diagnostic, du pronostic et du traitement qu’il a choisi pour lui. Le patient, quant à lui, consent aux traitements. Ce modèle repose sur le principe éthique de la bienfaisance qui considère que le médecin est le mieux placé pour apprécier ce qui serait bien pour son patient. Mais en amont de la bienfaisance se trouve la quête du médecin vertueux, qui se fait le juge savant de ce qui mérite d’être fait. Malheureusement, cela peut signifier d’ignorer l’opinion du patient ou de limiter ses droits ou de prendre des décisions de manière unilatérale pour les personnes qui viennent à lui. Il s’agit d’une conception étroite de la bienfaisance qui ne correspond plus à ce que l’on entend aujourd’hui par bienfaisance. Toutefois, un point positif du modèle paternaliste, est qu’il y est attendu du médecin qu’il ait une considération pour l’impact de ses actions sur la société, un sens du bien commun.
Dans le modèle autonomiste, le médecin propose les différentes options avec leurs avantages et leurs inconvénients et le patient prend seul la décision. Ce modèle a gagné en popularité dans les années 1980 dans la foulée de la création des Comité d’éthique de la recherche (CÉR) et du domaine de la bioéthique qui ont contribué à la montée du respect de l’autonomie du patient comme principe clé de l’éthique médicale. Cette période est aussi caractérisée par l’essor du modèle capitaliste, de la consommation, de l’individualisme. Le principe de respect de l’autonomie du patient implique que le patient est le seul à savoir ce qui est bien pour lui-même. En vertu de ce principe, un citoyen adulte et apte est en droit de refuser les traitements proposés par son médecin et, une fois convenablement informé, il est en droit d’assumer le rôle de décideur des soins le concernant. Ce modèle s’oppose au paternalisme pur qui, après avoir été l’objet de dérives notamment en recherche expérimentale, céda la place au respect des individus participant aux recherches et par extension aux individus recevant des soins.
La prise de décision partagée implique que le médecin et le patient prennent conjointement des décisions basées sur leurs expertises respectives, c’est-à-dire les connaissances médicales et l’expérience clinique du professionnel de la santé, et l’expérience personnelle, les valeurs et les préférences du patient. Ce modèle gagna en importance au Québec notamment suite à la production d’un programme national de santé publique soulignant l’importance de partager l’incertitude médicale dans la relation médecin-patient en 2003. Le modèle de la prise de décision partagée est issu du principe de pluralisme moral caractéristique de la modernité où coexistent plusieurs visions du monde et où l’on admet l’impossibilité de reconnaître une norme comme étant supérieure aux autres ou plus objective rationnellement. Bien que la prise de décision partagée soit le modèle de prise de décision le plus recommandé aujourd’hui, ses fondements idéologiques même impliquent l’acceptation d’une variabilité dans le schéma délibératif qui mène à une décision. Cela signifie que, de facto, la prise de décision partagée ne peut pas être imposée unilatéralement, mais doit faire l’objet d’une négociation entre les deux acteurs (médecin et patient).
Figure 1 : Comparaison entre les modèles de prise de décision
Modèles | Paternaliste | Autonomiste | Prise de décision partagée |
Rôle du médecin | Protecteur, bienfaiteur | Fournit les connaissances médicales | Partenaire |
Contexte historique | Modèle traditionnel, origine du serment d’Hippocrate | Années 1980, émergence des CÉR et de la valorisation de l’autonomie du patient | Années 2000, modernité, coexistence de plusieurs visions du monde. Contexte de mondialisation. |
Échange d’information | Unilatéral (médecin vers le patient) | Unilatéral (médecin vers le patient) | Réciproque (médecin et patient) |
Délibération | Médecin | Patient | Médecin et patient |
Décision | Médecin, le patient consent | Patient | Médecin et patient |
Principe éthique | Bienfaisance | Respect de l’autonomie | Pluralisme moral |
Plusieurs descriptions des éléments qui devraient faire partie d’un processus de prise de décision partagée existent. Toutefois, en 2006, Makoul et Clayman ont réalisé une revue systématique qui a permis de clarifier les éléments de base devant faire partie d’un processus de prise de décision partagée. Ces auteurs ont identifié les neuf éléments suivants: 1) l’explication par le médecin du problème qui nécessite d’être abordé; 2) la présentation des options existantes; 3) la présentation des bénéfices et des risques potentiels de chacune des options; 4) la mise à jour des valeurs et préférences du patient; 5) la discussion dyadique concernant la capacité du patient à donner suite à son plan initial; 6) la présentation par le médecin de ses connaissances et recommandations au patient; 7) la vérification de la compréhension des enjeux; 8) la prise de décision; et 9) la mise en place du suivi de la décision prise.
Les outils d’aide à la prise de décision partagée font partie des stratégies qui peuvent soutenir les médecins et leurs patients dans un processus de prise de décision partagée. Ils sont généralement utilisés dans des situations où plusieurs options de traitements ou tests diagnostiques sont possibles, chaque option présentant des risques et des bénéfices potentiels. Ils sont destinés à soutenir le processus de décision entre un médecin et son patient en présentant clairement les meilleures données scientifiques et en supportant le patient dans sa réflexion sur ses valeurs et ses préférences.
Il a été démontré que les outils d’aide à la décision: 1) augmentent les connaissances des patients à propos des options disponibles, 2) incitent les patients à être plus actifs dans les décisions les concernant, et 3) réduisent l’incertitude quant à la ligne de conduite à adopter lorsque le choix entre des actes antagonistes implique un risque, une perte ou une remise en question des valeurs personnelles (conflit décisionnel).